Bloquer l'IA ou s’adapter ? Le dilemme du Petit Futé
Interview avec Louis Géneau de Lamarliere, Directeur digital du Petit Futé

Directeur digital du Petit Futé depuis plus de 10 ans, Louis Géneau de Lamarliere partage son regard sur l’impact de l’IA dans le secteur du voyage, les défis posés par le scraping et les projets internes de l’entreprise. Une discussion sans détour sur les enjeux de visibilité, les opportunités technologiques et la transformation du modèle économique.
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Dans cet échange, Louis revient sur :
- le rôle de son équipe digitale,
- l’épisode du scraping massif à l’été 2023,
- les solutions envisagées (Cloudflare, partenariats avec les IA),
- l’usage interne de l’IA chez Petit Futé,
- le projet d’un LLM maison,
- sa vision personnelle de l’IA.
Nicolas : Bonjour Louis !
Louis : Bonjour Nicolas, merci de m’avoir invité.
Je suis très content de te retrouver après notre échange à Nextourisme que j’avais trouvé passionnant. Tu es directeur digital du Petit Futé, depuis un petit moment si j'en crois ton profil LinkedIn.
Tout à fait. Ça fait un peu plus de dix ans que je suis arrivé au Petit Futé pour dynamiser l’activité digitale, sachant que nous étions présents sur le web dès les années 2000. L’idée a été d’accélérer tout ce qui touche au digital, en chapeautant les équipes techniques et webmarketing. Et on évolue dans un univers où il y a beaucoup de bouleversements. L’IA est aujourd’hui une composante très forte.
Et ton équipe, c’est combien de personnes ?
Aujourd’hui, nous sommes 14 dans l’équipe digitale.
Et vous avez aussi une grosse équipe de rédacteurs.
Exactement. Nous avons l’équipe centrale à Paris, une soixantaine de personnes, et entre 600 et 1000 auteurs en France et à l’international, qui collaborent ponctuellement tout au long de l’année.
J’aime bien connaître le quotidien. Tu pilotes tout le digital, à quoi ressemble une journée type ?
Il y a plusieurs volets. D’abord, le trafic et les revenus au quotidien. Nous nous considérons comme un site média : notre objectif est de développer nos audiences, nos revenus et notre présence sur les réseaux sociaux. On travaille aussi sur la ligne éditoriale, l’amélioration du site, de l’UX, et des aspects techniques pour le rendre le plus performant possible.
Ensuite, il y a la réflexion sur l’avenir, les grandes tendances, qu’elles soient technologiques ou sociales. Aujourd’hui, c’est l’IA, hier c’étaient les réseaux sociaux.
À la fin, cela représentait environ 25 % de la bande passante de nos serveurs, sur un site qui compte environ 7 millions de visites mensuelles.
Parfait, super transition ! Parlons d’IA. Tu m’avais raconté un épisode marquant à l’été 2023.
L’été, pour nous, c’est toujours un pic d’audience. Mais en 2023, on a constaté une surcharge anormale des serveurs. Finalement, on a compris que ce n’était pas lié aux visiteurs, mais aux bots d’IA qui venaient scraper notre site. À la fin, cela représentait environ 25 % de la bande passante de nos serveurs, sur un site qui compte environ 7 millions de visites mensuelles. C’était colossal.
Et vous saviez d’où ça venait ? OpenAI, Perplexity ?
Pas au début. On a d’abord pensé à des acteurs obscurs, peut-être venus de Chine. On utilisait nous-mêmes des outils IA et on trouvait ça intéressant, mais on ne mesurait pas l’ampleur du pillage en cours. On n’imaginait pas que ce soit des sociétés reconnues qui en soient à l’origine.
Quelles ont été vos premières actions ?
On a cherché à maintenir nos serveurs. Avec l’aide de nos prestataires (SEO, Cloudflare, infogérance), on a fini par comprendre que c’était lié aux user agents d’OpenAI. On a commencé à les bloquer, mais c’était un jeu du chat et de la souris.
Et vous avez fini par conclure que c’était peine perdue ?
Exactement. On a filtré un peu, mais rapidement, une deuxième question est apparue : en bloquant, est-ce qu’on risquait de perdre en visibilité dans les LLM ? On était entre le marteau et l’enclume. Et ce dilemme existe toujours.
Nous avons depuis échangé avec Cloudflare, qui développe une solution de “paper crawl” pour mieux contrôler, modérer et monétiser l’accès des bots. Cela reste à préciser, mais c’est une piste.
Donc, aujourd’hui, votre position est pragmatique : on bloque un peu, mais surtout on cherche des solutions de valorisation.
Oui, mais cela suppose une transparence totale des acteurs, avec des bots bien identifiés. Google, par exemple, devrait différencier ceux utilisés pour le SEO, Gemini, etc. Certains le feront, mais pas tous.
Après, il y a aussi des signaux plus encourageants. Quand on regarde du côté des médias, on voit des partenariats comme celui de Perplexity avec la presse, ou de Mistral avec l’AFP. Est-ce que ça ouvre une voie pour vous ?
Perplexity n’a pas été exemplaire au départ, mais ils évoluent avec une offre payante intégrant la rémunération des éditeurs. C’est encourageant. Cela ne corrige pas le passé, mais ça ouvre la voie à une régulation plus saine.
Mais quand vous êtes cités, est-ce que ça vous apporte vraiment du trafic ?
Non, pas directement. Pour une marque, la visibilité est essentielle. Petit Futé existe depuis bientôt 50 ans, on doit rester présent. Être cité dans les LLM, c’est positif pour l’image, mais cela ne génère ni trafic ni revenus directs. Il faudra trouver un modèle de rémunération ou une manière de mesurer l’impact réel.
Justement, en parallèle, vous utilisez aussi l’IA en interne ?
Oui. Nous l’utilisons pour optimiser les process, fluidifier la communication interne, créer des contenus à faible valeur ajoutée (chapeaux, balises SEO), et qualifier les POI. Nous avons aussi un projet de LLM interne basé sur nos données, qui pourrait être ouvert au grand public demain.
Tu peux préciser ce projet de LLM ?
L’idée, c’est une interface type ChatGPT, mais alimentée uniquement par notre base de données. Cela limiterait les hallucinations et garantirait des réponses fiables. On pourrait enrichir avec des données météo, par exemple.
Vous partez donc sur un modèle custom GPT ?
Oui, plutôt qu’un développement from scratch (ndlr : à partir de zéro). Les modèles open source comme DeepSeek ou Llama sont intéressants : moins gourmands, moins coûteux à déployer. On veut tester, apprendre, puis évoluer étape par étape.
Concrètement, ça pourrait aussi changer la manière dont vos contenus sont consommés.
Exactement. Aujourd’hui, nos guides associent les établissements par localité. Demain, un utilisateur pourrait naviguer par thématique (par exemple gastronomie) ou par zone géographique transversale. Cela ouvre de nouvelles expériences.
Demain, on pourrait imaginer réserver un hôtel ou un restaurant directement dans l’interface Petit Futé.
Et côté modèle économique, vous pourriez intégrer du paiement ou de la réservation ?
Nous ne serons pas opérateurs de voyages. Mais nous travaillons déjà avec des partenaires comme Booking ou Zenchef pour proposer des réservations intégrées. Demain, on pourrait imaginer réserver un hôtel ou un restaurant directement dans l’interface Petit Futé.
Pour conclure, quel conseil donnerais-tu aux TPE/PME qui se posent la question de l’IA ?
Il ne faut pas croire que c’est réservé aux grandes entreprises. Les outils sont accessibles, les coûts abordables. Ça peut vraiment être une opportunité pour développer son activité.
Et toi, à titre personnel, tu t’en sers comment ?
Pour les loisirs, je fais un peu de musique avec l’IA. J’ai testé aussi la création d’images, mais avec moins de succès [rires]. Et au quotidien, je m’en sers pour rédiger des mails, des comptes rendus, ou revoir des contrats. C’est un gain de temps, à condition de rester raisonnable.
Très intéressant, merci beaucoup pour cet échange !
Avec grand plaisir !
À retenir
- Le Petit Futé a subi un scraping massif en 2023, représentant jusqu’à 25% de sa bande passante
- L’entreprise teste aujourd’hui des solutions pour protéger et monétiser ses données, notamment avec Cloudflare
- En interne, l’IA est déjà utilisée pour la rédaction et la qualification des POI
- Un projet de LLM interne est en cours, qui pourrait être ouvert demain au grand public
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